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La Zelandoni Qui Était la Première avait des sentiments mêlés sur cette nouvelle grotte. Découvrir de nouveaux accès au Monde Souterrain Sacré de la Mère était toujours exaltant et l’idée qu’elle puisse en être exclue pour des raisons purement physiques la navrait, même si la perspective de ramper sur le sol pour pénétrer dans un espace exigu ne la séduisait pas particulièrement. Elle était satisfaite, en revanche, qu’Ayla soit suffisamment acceptée par la Zelandonia pour qu’on lui fasse cette offre. Cela signifiait, espérait-elle, que son choix d’une nouvelle venue comme acolyte était déjà considéré comme normal. Bien sûr, le fait que cette femme possédant des pouvoirs aussi inhabituels soit désormais placée sous l’autorité de la Zelandonia devait en soulager plus d’un. Qu’elle fût par ailleurs une jeune mère normale et séduisante facilitait aussi son acceptation.

— Excellente idée, approuva-t-elle. J’ai prévu qu’elle entamerait son Périple de Doniate à la fin de l’été, après les Matrimoniales et les Rites des Premiers Plaisirs. Cette visite constituerait une bonne initiation et lui offrirait l’occasion de comprendre comment la Zelandonia découvre les lieux sacrés. Et puisqu’on parle d’initiation, je vois ici plusieurs des nouveaux acolytes. Le moment me paraît bien choisi pour leur révéler des connaissances dont ils auront besoin. Qui peut me dire combien il y a de saisons ?

— Il y en a trois, répondit un jeune homme.

— Non, le contredit une jeune femme. Il y en a cinq.

La Première sourit.

— Pour l’un, c’est trois, pour l’autre cinq, quelqu’un peut me dire qui a raison ?

Un moment, tous demeurèrent silencieux puis l’acolyte assis à la gauche d’Ayla répondit :

— Les deux, je crois.

Zelandoni sourit de nouveau.

— C’est exact. Il y a trois ou cinq saisons, selon la façon dont on les compte. Qui peut m’expliquer pourquoi ?

Nouveau silence. Ayla se rappelait les enseignements du Mamut, mais elle hésitait à prendre la parole. Finalement, quand le silence devint gênant, elle se lança :

— Les Mamutoï aussi ont trois et cinq saisons. Pour les Zelandonii, je ne sais pas, mais je peux vous soumettre ce que Mamut m’a appris.

— Ce serait très intéressant, je crois, dit la Première.

Elle regarda autour d’elle, constata les hochements de tête approbateurs des autres membres de la Zelandonia.

— Le triangle pointe en bas est un symbole très important pour les Mamutoï, commença Ayla. Il symbolise la femme et il est fait de trois traits, donc trois est le mot à compter du pouvoir de… je ne connais pas le nom, d’être mère, de donner naissance, de créer une nouvelle vie, et il est sacré pour Mut, pour la Mère. Mamut disait aussi que les trois côtés du triangle représentent les trois saisons principales : printemps, été, hiver. Mais les Mamutoï distinguent aussi deux autres saisons, celles qui signalent le changement, l’automne et le milieu de l’hiver, ce qui fait cinq saisons. Pour Mamut, cinq est le mot à compter sacré caché de la Mère.

Non seulement les jeunes acolytes étaient stupéfaits mais les Zelandonia plus âgés étaient captivés par les propos d’Ayla. Même ceux qui l’avaient rencontrée l’année d’avant et l’avaient déjà entendue parler. Pour ceux qui la voyaient pour la première fois, en particulier s’ils étaient jeunes et avaient peu voyagé, sa voix paraissait tout à fait singulière. La plupart des membres de la Zelandonia ne connaissaient pas les éléments qu’elle venait de leur livrer mais ils correspondaient en gros à leur façon de penser et confirmaient leurs propres convictions. Ayla en retira un surcroît de crédibilité et de prestige : elle avait voyagé, elle possédait de vastes connaissances, elle n’était pas vraiment menaçante.

— Je ne me rendais pas compte que les voies de la Mère étaient si semblables à d’aussi grandes distances, dit la Zelandoni de la Troisième Caverne. Nous aussi nous parlons de trois saisons principales – printemps, été et hiver – mais la plupart des gens en comptent cinq : printemps, été, automne, début et fin de l’hiver. Nous pensons aussi que le triangle renversé représente la femme et que trois est le mot à compter du pouvoir d’engendrer mais que cinq est un symbole plus puissant.

— C’est vrai. Les voies de la Grande Terre Mère sont remarquables, dit la Première avant de reprendre la formation des nouveaux : Nous avons déjà parlé du mot à compter cinq, des cinq parties de la pomme, des cinq doigts de chaque main, des cinq orteils à chaque pied, de la façon spéciale d’utiliser les mains et les mots à compter. Il y a aussi cinq couleurs principales ou sacrées. Toutes les autres ne sont que des aspects des cinq principales. La première est le rouge. C’est la couleur du sang, de la vie. Mais tout comme la vie ne dure pas, le rouge reste rarement semblable à lui-même. Lorsque le sang sèche, il s’assombrit, il devient marron ou brun, parfois très foncé.

« Le marron est un aspect du rouge parfois appelé “vieux rouge”. C’est la couleur du tronc et des branches de nombreux arbres. Les ocres rouges de la terre sont le sang séché de la Mère, et si certains peuvent être très brillants et sembler presque neufs, ils sont tous considérés comme de vieux rouges. Certains fruits, certaines fleurs ont la couleur authentique du rouge mais les fleurs sont éphémères, comme la couleur rouge des fruits. Une fois séchés, les fruits rouges tels que les fraises deviennent vieux rouge. Pouvez-vous me citer quelque chose d’autre qui a pour couleur un aspect du rouge ?

— Certaines personnes ont les cheveux bruns, répondit un acolyte assis derrière Ayla.

— Et certaines ont les yeux marron, ajouta-t-elle.

— Je n’ai jamais vu quelqu’un qui a des yeux marron. Les yeux de tous ceux que je connais sont bleus ou gris, parfois avec un peu de vert, déclara le jeune acolyte qui venait de parler.

— Les membres du Clan qui m’ont élevée avaient tous les yeux marron, reprit Ayla. Ils trouvaient mes yeux étranges parce qu’ils étaient clairs.

— Tu parles des Têtes Plates, non ? Ce ne sont pas vraiment des personnes. D’autres animaux ont des yeux marron et beaucoup ont une fourrure brune.

Ayla sentit sa colère s’embraser.

— Comment peux-tu dire ça ? Ce ne sont pas des animaux, ce sont des humains ! Tu en as déjà vu un ?

La Première intervint pour étouffer la dispute naissante :

— Acolyte de la Zelandoni de la Vingt-Neuvième Caverne, il est vrai que certaines personnes ont des yeux marron. Tu es jeune et tu manques manifestement d’expérience. Voilà pourquoi, avant de devenir pleinement Zelandoni, tu dois faire un Périple de Doniate. Lorsque tu descendras dans le Sud, tu rencontreras des gens aux yeux marron. Mais tu devrais peut-être répondre à la question d’Ayla. As-tu déjà vu un de ces « animaux » que tu appelles Têtes Plates ?

— Euh… non, mais tout le monde raconte qu’ils ressemblent à des ours.

— Enfant, Ayla a vécu parmi ceux auxquels les Zelandonii donnent le nom de Têtes Plates. Pour elle, ils sont le Clan. Après la perte de ses parents, ils lui ont sauvé la vie en prenant soin d’elle, en l’élevant. Je pense qu’elle les connaît mieux que toi. Tu peux aussi interroger Willamar, le Maître du Troc, qui a eu plus de contacts avec eux que la plupart d’entre nous. Selon lui, ils paraissent peut-être un peu différents mais ils se comportent comme des personnes et il est convaincu qu’ils ne sont pas des animaux. Avant d’avoir été toi-même en contact direct avec eux, range-toi à l’avis de ceux qui les connaissent personnellement, conclut la Première d’un ton sévère et réprobateur.

Le jeune homme fut pris d’un accès de colère. Il n’aimait pas se faire sermonner, il n’aimait pas que les idées d’une étrangère trouvent plus de crédit que celles qu’il avait entendues toute sa vie. Mais après que sa Zelandoni lui eut adressé un signe de tête négatif, il renonça à contester Celle Qui Était la Première.

— Nous parlions des Cinq Couleurs Sacrées, rappela-t-elle. Zelandoni de la Quatorzième Caverne, peux-tu nous dire quelle est la suivante ?

— La deuxième couleur principale est le vert, répondit la doniate de la Quatorzième. Le vert est la couleur des feuilles et de l’herbe. C’est aussi la couleur de la vie, bien sûr, de la vie végétale. En hiver, de nombreux arbres et plantes sont marron, ce qui montre que leur vraie couleur est vieux rouge, couleur de la vie. En hiver, les plantes se reposent, elles reprennent des forces pour leur nouvelle pousse de printemps. Comme les fleurs et les fruits, les plantes montrent aussi la plupart des autres couleurs…

Ayla trouva que le débit était plat et bien que le sujet fût en lui-même passionnant cette femme le rendait ennuyeux. Rien d’étonnant à ce que le reste de la Zelandonia ne l’ait pas choisie pour Première. Par scrupule, Ayla se demanda cependant si elle ne pensait pas cela uniquement parce qu’elle savait que cette doniate déplaisait à sa Zelandoni.

— Le Zelandoni dont la Caverne accueille cette Réunion d’Été pourrait peut-être nous parler de la couleur sacrée suivante ? intervint la Première au moment où la vieille femme reprenait sa respiration pour poursuivre.

Étant donné les circonstances, elle ne put protester.

— Oui, bien sûr, dit le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne. La troisième couleur sacrée est le jaune, couleur du soleil, Bali, et couleur du feu, quoiqu’il y ait aussi beaucoup de rouge dans les deux, ce qui montre qu’ils ont une vie propre. C’est surtout le matin et le soir qu’on peut voir le rouge du soleil. Il nous donne lumière et chaleur, mais il peut être dangereux. Trop de soleil brûle la peau, dessèche les plantes et les points d’eau. Nous n’avons aucun contrôle sur le soleil. Même Doni, la Mère, n’a pas su maîtriser Son fils Bali. Nous ne pouvons qu’essayer de nous en protéger en ne nous mettant pas sur son chemin. Le feu peut être encore plus dangereux que le soleil. Nous savons le maîtriser un peu et il est très utile mais nous devons toujours nous méfier de lui.

« Tout ce qui est jaune ne brûle pas. Il y a de la terre jaune, il y a des ocres jaunes en plus des ocres rouges. Certaines personnes ont des cheveux jaunes, dit-il en regardant Ayla, et naturellement, c’est la vraie couleur de nombreuses fleurs. Elles finissent toujours par devenir marron, qui est un aspect du rouge. Voilà pourquoi certains soutiennent que le jaune est un aspect du rouge et non une couleur sacrée en soi, mais la plupart des autres s’accordent à estimer que c’est une couleur principale qui attire le rouge, couleur de la vie.

Ayla était captivée par le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne, qu’elle examina plus attentivement. Il était grand, musclé, avec une chevelure blonde, presque châtain, striée de mèches plus claires, et des sourcils bruns qui se perdaient dans son tatouage de Zelandoni. Le dessin n’en était pas aussi orné que d’autres mais très précis. Sa barbe était brune avec des reflets roux, courte et bien taillée. Il devait se servir d’un éclat de silex très tranchant. Il approchait de la maturité et son visage avait du caractère, mais il demeurait jeune et plein de vigueur, parfaitement maître de lui.

Elle se dit que la plupart des gens devaient le trouver beau. Pour sa part, elle le trouvait superbe, même si elle ne faisait pas entièrement confiance à son goût en matière de beauté pour ceux que le Clan appelait les « Autres ». Ses notions en ce domaine étaient fortement influencées par les critères de ceux qui l’avaient élevée. Pour elle, les membres du Clan étaient beaux, mais la plupart des Autres n’étaient pas de cet avis, même si beaucoup d’entre eux n’en avaient jamais vu, et si ceux qui en avaient vu n’avaient fait que les apercevoir de loin. Elle observa les jeunes acolytes femmes, estima qu’elles étaient attirées par l’homme qui parlait. Les femmes plus âgées semblaient l’être aussi. En tout cas, il avait un vrai talent pour transmettre le savoir. La Première devait le penser également puisqu’elle lui demanda de poursuivre. Ce qu’il fit :

— La quatrième couleur principale est le clair. Le clair est la couleur du vent, la couleur de l’eau. Le clair peut montrer toutes les couleurs, par exemple quand on regarde la surface d’une eau tranquille, ou que des gouttes de pluie brillent de toutes les couleurs lorsque le soleil reparaît. Le bleu et le blanc sont des aspects du clair. Regardez le vent, il est clair, mais regardez le ciel, vous voyez du bleu. L’eau d’un lac ou des Grandes Eaux à l’ouest est souvent bleue, et l’eau des glaciers est d’un bleu profond.

Comme les yeux de Jondalar, pensa Ayla. Elle se rappela que c’était pendant leur traversée du glacier qu’elle avait vu pour la première fois un bleu de la même couleur que ses yeux. Elle se demanda si le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne avait déjà marché sur un glacier.

— Certains fruits sont bleus, disait-il. Les baies, par exemple, et les fleurs aussi, quoique rarement. La plupart des gens ont les yeux bleus, ou d’un bleu mêlé de gris, et le gris est aussi un aspect du clair. La neige est blanche, comme le sont les nuages dans le ciel, gris quand ils sont mêlés de sombre et chargés de pluie, mais leur vraie couleur est le clair. La glace est claire même si elle paraît blanche et on peut voir la vraie couleur de la neige et de la glace dès qu’elles fondent, ainsi que celle des nuages quand ils se transforment en pluie. Il y a de nombreuses fleurs blanches et on trouve de la terre blanche, du kaolin, dans certains endroits. Non loin de la Neuvième Caverne, par exemple, précisa-t-il en regardant Ayla, mais c’est encore un aspect du clair.

La Première prit le relais :

— La cinquième couleur sacrée est le sombre, parfois appelé « noir ». C’est la couleur de la nuit, du charbon de bois après que le feu a dévoré la vie des branches. Avec le temps, le sombre prend le dessus sur le rouge, couleur de la vie. Certains prétendent que le noir est l’aspect le plus sombre du rouge mais c’est inexact. Le sombre est absence de lumière, absence de vie. C’est la couleur de la mort. Il n’a même pas une vie éphémère : il n’y a pas de fleurs noires. Les grottes profondes montrent la couleur sombre dans son aspect le plus authentique.

Quand elle eut terminé, elle regarda les acolytes assemblés.

— Des questions ?

Il s’ensuivit un silence hésitant, pendant lequel plusieurs d’entre eux gigotèrent, remuèrent les pieds, mais aucun ne se décida à parler. Elle savait qu’ils avaient probablement des questions à poser mais personne ne voulait être le premier, montrer qu’il n’avait pas saisi les explications alors que tous les autres avaient compris, apparemment du moins. C’était sans importance, les questions viendraient plus tard. Comme ils étaient nombreux et attentifs, la Première se demanda si elle ne devait pas poursuivre, mais elle savait qu’il est difficile de retenir trop de choses à la fois et que l’attention peut faiblir.

— Vous voulez en savoir plus ?

Ayla jeta un coup d’œil à son bébé, constata qu’il dormait toujours.

— Moi, oui, répondit-elle à voix basse.

Des murmures, pour la plupart approbateurs, parcoururent le groupe.

— Quelqu’un peut-il expliquer l’autre raison pour laquelle nous savons que cinq est un symbole puissant ? s’enquit la Première.

— On peut voir cinq étoiles qui se déplacent dans le ciel, dit le Zelandoni de la Septième Caverne.

— C’est exact.

La Première sourit au vieil homme de haute taille et ajouta, pour les autres :

— Zelandoni de la Septième est celui qui les a découvertes et nous les a montrées. Il faut du temps pour les voir et la plupart d’entre vous n’y parviendront pas avant leur Année des Nuits.

— Qu’est-ce que l’Année des Nuits ? demanda Ayla.

Plusieurs autres acolytes semblèrent contents qu’elle ait posé la question.

— L’année pendant laquelle vous devrez rester éveillés la nuit et dormir le jour, répondit la Première. C’est une des épreuves que vous affronterez durant votre formation, mais c’est plus encore. Il y a des choses que vous devez connaître et qu’on ne peut voir que la nuit, comme l’endroit où le soleil se lève et se couche, en particulier au milieu de l’été et au milieu de l’hiver, quand ce point s’arrête et change de direction, ou comme les levers et les couchers de la lune. Le Zelandoni de la Cinquième Caverne est celui qui connaît le mieux le sujet. Il l’a observé pendant une demi-année.

Ayla aurait voulu savoir quelles autres épreuves elle aurait à subir pendant sa formation mais elle s’abstint de le demander. Elle le découvrirait bien assez tôt.

— Qu’est-ce qui nous montre encore la puissance du cinq ? insista la Première.

— Les Cinq Éléments Sacrés, répondit le Zelandoni de la Vingt-Sixième.

— Bien ! le complimenta la femme obèse en changeant de position sur son siège. Commence, si tu veux.

— Il vaut toujours mieux parler des Couleurs Sacrées avant de parler des Éléments Sacrés, parce la couleur est une de leurs propriétés. Le premier des éléments – qu’on appelle aussi principes ou essences – est la terre. La terre est solide, elle a de la substance ; c’est le sol et les rochers. On peut prendre de la terre dans la main. La couleur qui lui est le plus souvent associée est le vieux rouge. En plus d’être un élément en soi, la terre est l’aspect matériel des quatre autres, qu’elle peut contenir ou qui peuvent l’altérer d’une manière ou d’une autre.

Il se tourna vers la Première pour savoir si elle souhaitait qu’il poursuive mais elle regardait déjà une autre doniate.

— Zelandoni de la Deuxième, continue, s’il te plaît.

— Le Deuxième Élément est l’eau, dit la femme en se levant. L’eau tombe parfois du ciel, reste à la surface de la terre ou coule dessus, ou s’infiltre jusqu’aux grottes souterraines. Elle est parfois absorbée et fait alors partie de la terre. Sa couleur est généralement claire ou bleue, même quand elle paraît boueuse. Quand l’eau est brune, c’est à cause de la couleur de la terre qui s’est mélangée à elle. On peut la voir et la sentir, l’avaler, mais pas la prendre avec les doigts. On peut cependant la garder au creux des paumes, dit la doniate en joignant les mains pour former une coupe.

Ayla prenait plaisir à l’observer parce qu’elle accompagnait ses paroles de gestes, même si ce n’était pas intentionnel comme chez les membres du Clan.

— L’eau doit toujours être contenue dans quelque chose : un bol, une outre, votre corps. Le corps a besoin de contenir de l’eau, vous le découvrirez pendant une de vos épreuves. Toutes les choses vivantes ont besoin d’eau, les plantes comme les animaux, conclut la Zelandoni de la Deuxième avant de se rasseoir.

— Quelqu’un veut ajouter quelque chose ? demanda le chef de la Zelandonia.

— L’eau peut être dangereuse, on peut se noyer dedans, dit le jeune acolyte femme assis de l’autre côté de Jonayla.

Elle parlait à voix basse et d’un ton triste qui amena Ayla à se demander si elle n’évoquait pas un événement personnel.

— C’est vrai, approuva Ayla. Pendant notre voyage, Jondalar et moi avons dû traverser de nombreuses rivières dangereuses.

— J’ai connu quelqu’un qui est passé à travers la glace d’une rivière et en est mort, intervint le Zelandoni de Face Sud, partie de la Vingt-Neuvième Caverne.

Sentant qu’il allait détailler l’histoire de cette noyade, la Zelandoni principale de la Vingt-Neuvième le coupa :

— Nous savons que l’eau peut être dangereuse mais le vent aussi, et c’est le Troisième Élément.

C’était une femme très agréable dont le sourire dissimulait une force sous-jacente et elle estimait que le moment n’était pas aux digressions. Comprenant ce qu’elle venait de faire, la Première lui sourit et suggéra :

— Parle-nous de ce Troisième Élément.

— Pas plus que l’eau, on ne peut contenir le vent. On ne peut pas non plus le voir mais on peut constater ses effets. Quand le vent s’arrête, on ne le sent plus, mais il peut avoir une telle puissance qu’il déracine les arbres. Quand il souffle fort, il vous empêche d’avancer. Il est partout, y compris dans les grottes les plus profondes, même s’il y est généralement immobile. On sait qu’il est présent parce qu’on peut le faire bouger en agitant quelque chose. Le vent bouge aussi à l’intérieur d’un corps vivant. On le sent quand on prend son souffle ou qu’on le rejette. Le vent est indispensable à la vie. Les humains et les animaux en ont besoin pour vivre. Quand leur souffle s’arrête, on sait qu’ils sont morts.

Ayla vit que son bébé commençait à gigoter et comprit qu’il se réveillerait bientôt. La Première remarqua aussi les mouvements de l’enfant et l’agitation de l’auditoire. Il fallait mettre rapidement fin à la réunion.

— Le Quatrième Élément est le froid, enchaîna-t-elle. Pas plus que le vent, on ne peut saisir ou contenir le froid mais on le sent. Le froid cause des changements, il rend les choses plus dures, plus lentes. Il peut durcir la terre et durcir l’eau, la transformer en glace et l’empêcher de couler, il peut changer la pluie en neige ou en glace. La couleur du froid est le clair ou le blanc. Certains disent que c’est le sombre qui produit le froid. Il fait effectivement plus frais quand vient l’obscurité de la nuit. Le froid aussi peut être dangereux. Il peut aider le sombre à épuiser la vie mais le sombre n’est pas affecté par le froid et les choses qui sont en partie sombres sont moins affectées par le froid. Il peut être utile : si vous mettez de la nourriture dans une fosse froide ou dans l’eau recouverte de glace, le froid l’empêche de pourrir. Lorsque le froid s’arrête, les choses claires redeviennent comme avant : la glace redevient eau, par exemple. Les choses ou les éléments vieux rouge retrouvent généralement leur état antérieur après le froid, comme la terre ou l’écorce des arbres, mais pas les choses vertes, jaunes ou vrai rouge.

La Première décida de ne pas inviter son auditoire à poser des questions et passa aussitôt à la suite :

— Le Cinquième Élément est la chaleur. On ne peut ni saisir ni contenir la chaleur mais on la sent, elle aussi. On sait quand on touche quelque chose de chaud. La chaleur change aussi les choses mais alors que le changement est lent avec le froid, il est rapide avec la chaleur. Le froid épuise la vie, la chaleur la ranime. Le feu et le soleil produisent de la chaleur. La chaleur du soleil amollit la terre durcie par le froid et change la neige en pluie, ce qui aide les plantes à pousser. Elle change la glace en eau et la fait couler de nouveau. La chaleur du feu fait cuire la nourriture, viande et légumes, elle chauffe l’intérieur d’un abri mais elle peut être dangereuse. Elle peut également aider le sombre. La couleur de la chaleur est le jaune, souvent mêlé de rouge mais parfois de sombre. La chaleur peut aider le vrai rouge de la vie mais trop de chaleur encourage le sombre qui détruit la vie.

La Première avait bien estimé le temps qui lui restait : au moment précis où elle terminait, Jonayla s’éveilla avec un vagissement sonore. Ayla la prit aussitôt, la berça pour la calmer.

— Je veux que vous réfléchissiez tous à ce que vous avez appris aujourd’hui, dit la Première. Essayez de garder en mémoire les questions que vous pourriez avoir pour que nous puissions en discuter à la prochaine réunion. Ceux qui veulent partir maintenant le peuvent.

— J’espère qu’elle aura bientôt lieu, dit Ayla en se levant. C’était passionnant, je suis impatiente d’apprendre encore.

— J’en suis contente, Acolyte de la Zelandoni de la Neuvième Caverne, répondit la Première.

Elle appelait toujours tout le monde par son titre officiel quand elle se trouvait dans la hutte de la Zelandonia aux Réunions d’Été.

 

 

— Proleva, j’ai quelque chose à te demander, dit Ayla, mal à l’aise.

— Je t’écoute.

Tous ceux qui partageaient la hutte prenaient leur repas du matin et ils tournèrent vers elle des regards brillants de curiosité.

— Il y a une grotte sacrée non loin du foyer de la Vingt-Sixième Caverne et son Zelandoni m’a demandé de la visiter puisque je suis l’acolyte de la Première. L’entrée en est étroite et la Première aimerait que j’y aille pour la représenter.

Jondalar regarda autour de lui et vit Willamar frissonner. Le Maître du Troc aimait parcourir de longues distances mais n’était pas attiré par les lieux confinés. Il pouvait se forcer à pénétrer dans une grotte quand c’était nécessaire, surtout quand elle n’était pas trop exiguë, mais il préférait les espaces découverts.

— J’ai besoin de quelqu’un pour garder Jonayla et l’allaiter au besoin, poursuivit Ayla. Je la ferai téter avant mon départ mais je ne sais pas combien de temps je serai partie. Je ne peux pas l’emmener, il faut ramper sur le sol pour pénétrer dans cette grotte. Je crois que Zelandoni est heureuse qu’on me l’ait proposé.

Proleva réfléchit. Elle était toujours très occupée aux Réunions d’Été : la Neuvième était une Caverne nombreuse et la femme du chef avait beaucoup à faire. Elle ne savait pas si elle aurait le temps de s’occuper d’un autre bébé en plus du sien.

— Je l’allaiterais volontiers, répondit-elle, mais je dois voir plusieurs personnes aujourd’hui et je ne pense pas que je pourrai m’occuper d’elle.

— J’ai une idée, déclara Marthona.

Tout le monde se tourna vers l’ancien chef de la Caverne.

— Nous pouvons trouver quelqu’un qui accompagnera Proleva, gardera Jonayla et Sethona quand elle sera occupée et lui amènera les bébés quand ils auront faim.

Marthona adressa un coup d’œil à Folara, lui donna discrètement un coup de coude. La jeune fille saisit le message. Elle avait déjà songé à se porter volontaire mais elle n’était pas sûre de vouloir passer toute la journée à garder les bébés. D’un autre côté, elle les adorait et il serait peut-être intéressant de voir qui Proleva devait rencontrer.

— Je m’en charge, proposa-t-elle.

Et sur une inspiration elle ajouta :

— Si Loup m’aide.

Cela attirerait sur elle l’attention de tout le camp.

Ayla réfléchit. Elle n’était pas totalement sûre que Loup obéirait à la jeune femme au lieu de réunion du camp, parmi de nombreux inconnus, même s’il serait probablement ravi d’accompagner les enfants.

Les loups adultes se dévouaient pour leurs petits, ils les gardaient à tour de rôle pendant que le reste de la meute chassait, mais une meute ne pouvait élever plus d’une portée. Les animaux adultes devaient chasser non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour de jeunes louveteaux en pleine croissance et affamés. En plus du lait de la mère et pour aider à sevrer la portée, les chasseurs rapportaient de la viande qu’ils avaient mâchée et avalée, régurgitaient la nourriture en partie digérée, ainsi plus facile à manger pour les petits. La femelle dominante veillait à ce qu’aucune autre louve de la meute ne puisse s’accoupler quand venait la saison et interrompait souvent son propre accouplement pour éloigner les mâles des autres femelles afin qu’elle seule ait une portée.

Loup avait transféré cet amour instinctif des petits sur les bébés humains de sa meute. Quand elle était jeune, Ayla avait observé des loups et c’était la raison pour laquelle elle comprenait si bien le sien. Tant que personne ne menacerait les petites, il ne causerait aucun problème, et qui menacerait des bébés en pleine Réunion d’Été ?

— D’accord, Folara. Loup t’aidera, mais Jondalar viendra voir régulièrement si tout se passe bien. Tu pourras, Jondalar ? Je crois que Loup acceptera la présence de Folara, mais il cherche tellement à protéger les enfants qu’il pourrait empêcher quiconque de les approcher. Il t’obéit toujours quand je ne suis pas là.

— J’avais prévu de rester près de notre camp ce matin pour fabriquer des outils, répondit-il. J’en dois à plusieurs personnes qui m’ont aidé à construire notre habitation à la Neuvième Caverne. Il y a une aire de taille à la lisière du camp principal, on l’a recouverte de pierres pour l’empêcher de devenir boueuse. Je pourrai travailler là-bas et aller voir de temps en temps comment Folara et Loup se débrouillent. Je dois aussi rencontrer des gens dans l’après-midi. Après la chasse aux lions, ceux que le lance-sagaie intéresse sont plus nombreux mais je m’arrangerai pour les retrouver à un endroit d’où je pourrai garder un œil sur Loup et Folara.

— J’espère que je serai de retour dans l’après-midi, dit Ayla.

Peu de temps après, ils se mirent tous en route pour le camp principal et se séparèrent quand ils y parvinrent. Ayla, Proleva et leurs deux enfants, Folara, Jondalar et le loup passèrent d’abord à la grande hutte de la Zelandonia. Le doniate de la Vingt-Sixième Caverne attendait déjà devant, en compagnie d’un acolyte qu’Ayla n’avait pas vu depuis quelque temps.

— Jonokol ! s’exclama-t-elle en se précipitant vers l’homme qui avait été avant elle acolyte de la Première et que les Zelandonii considéraient comme l’un de leurs plus talentueux artistes. Quand es-tu arrivé ? As-tu déjà vu Zelandoni ? lui demanda-t-elle après l’avoir serré dans ses bras en pressant sa joue contre la sienne.

— Nous sommes arrivés hier juste avant la nuit. La Dix-Neuvième Caverne est partie tard et la pluie nous a ralentis. Et, oui, j’ai vu la Première parmi Ceux Qui Servent la Mère. Elle a l’air en pleine forme.

Les autres Zelandonii de la Neuvième accueillirent chaleureusement l’homme qui naguère encore était un membre estimé de leur Caverne et un ami cher. Loup lui-même vint le renifler pour lui montrer qu’il le reconnaissait et Jonokol, en retour, le gratta derrière les oreilles.

— Es-tu déjà devenu Zelandoni ? voulut savoir Proleva.

— Si je réussis l’épreuve, je le serai peut-être à cette Réunion d’Été. Zelandoni de la Dix-Neuvième ne va pas bien. Elle n’est pas venue cette année, elle n’avait pas la force de marcher autant.

— J’en suis désolée, dit Ayla. Je me faisais une joie de la revoir.

— Elle a été un bon maître et j’ai rempli un grand nombre de ses tâches, dit Jonokol. Tormaden et la Caverne voudraient que j’assume aussi le reste de ses fonctions dès que possible et je crois qu’elle n’y serait pas opposée.

Il regarda les « fardeaux » qu’Ayla et Proleva avaient dans leurs couvertures à porter et ajouta :

— Je vois que vous avez vos bébés avec vous. Des filles, à ce que j’ai entendu dire, les Protégées de Doni. J’en suis heureux pour vous. Je peux les voir ?

— Bien sûr, répondit Proleva, qui tira l’enfant de la couverture et le tint en l’air. Elle s’appelle Sethona.

— Et voici Jonayla, dit Ayla en montrant elle aussi son bébé.

— Elles sont nées à quelques jours l’une de l’autre et ce seront de grandes amies, prédit Folara. C’est moi qui m’occuperai d’elles aujourd’hui, avec l’aide de Loup.

Jonokol se tourna vers Ayla.

— Je crois savoir que nous visitons une grotte sacrée, ce matin.

— Tu viens aussi ? C’est formidable, dit Ayla.

Elle se tourna vers le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne et lui demanda :

— As-tu une idée du temps que cela prendra ? J’aimerais être de retour dans l’après-midi.

— Nous devrions être rentrés, assura-t-il.

Il avait observé les retrouvailles de l’acolyte artiste avec son ancienne Caverne et les réactions qu’elles avaient suscitées. Il s’était demandé comment Ayla visiterait une grotte d’accès difficile avec un bébé et avait rapidement compris qu’elle avait pris des dispositions pour le faire garder, ce qui était sage. Il n’était pas le seul à s’étonner qu’une jeune mère se destine à remplir les fonctions d’une Zelandoni. Elle le ferait apparemment avec l’aide de parents et d’amis de la Neuvième Caverne. Il y avait une bonne raison pour que si peu de membres de la Zelandonia choisissent de s’unir et d’avoir des enfants. Dans un an ou deux, lorsque la petite serait sevrée, ce serait plus facile pour Ayla… à moins que Doni ne lui accorde un autre enfant. En tout cas, il serait intéressant de suivre l’évolution de cette séduisante jeune femme, pensa-t-il.

Après avoir promis de revenir bientôt, Ayla partit avec les autres membres de la Neuvième pour accompagner Proleva à sa réunion. Le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne leur emboîta nonchalamment le pas. Ayla donna son sein à téter à Jonayla mais l’enfant était repue. Elle sourit à sa mère, du lait coulant du coin de sa bouche, et tenta de se redresser. Ayla la remit à Folara puis s’approcha de Loup et se tapota le torse juste en dessous des épaules. L’animal sauta, posa ses grosses pattes à l’endroit indiqué tandis qu’Ayla se préparait à soutenir son poids.

La démonstration qui suivit provoqua une stupeur incrédule chez ceux qui ne la connaissaient pas encore. Ayla leva le menton pour offrir son cou au prédateur. Il le lécha avec une grande douceur puis le prit délicatement entre ses crocs, reconnaissant ainsi le dominant de sa meute. Elle lui retourna le geste en aspirant dans sa bouche un repli de peau couvert de fourrure puis le tint par le cou et le regarda dans les yeux. Il retomba quand elle le lâcha et elle se baissa pour se mettre à son niveau.

— Je pars pour un moment, murmura-t-elle.

Elle répéta le message dans la langue des signes du Clan, avec tant de discrétion cependant que ceux qui les observaient ne le remarquèrent pas. Parfois, Loup semblait comprendre les signes mieux que les mots, mais Ayla utilisait généralement les deux lorsqu’elle voulait lui communiquer quelque chose d’important.

— Folara s’occupera de Jonayla et de Sethona. Tu peux rester avec les bébés et les garder aussi, mais tu devras faire ce que Folara te dira. Jondalar ne sera pas loin.

Elle se redressa, serra son bébé dans ses bras et dit au revoir aux autres. Jondalar la pressa brièvement contre lui avant qu’elle parte. Elle ne prétendait jamais, pas même en elle-même, que Loup comprenait vraiment tout ce qu’elle disait, mais quand elle lui parlait de cette façon, il l’écoutait attentivement et semblait suivre ses instructions. Elle avait remarqué que le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne les avait suivis et qu’il l’avait vue s’adresser à Loup. Son visage exprimait encore sa surprise, bien qu’elle ne fût pas perceptible à tout le monde. Ayla avait l’habitude d’interpréter des nuances subtiles, c’était nécessaire dans le Clan, et elle avait appris à appliquer ce talent à ceux de son espèce.

L’homme garda le silence lorsqu’ils regagnèrent ensemble la hutte de la Zelandonia. La Vingt-Sixième Caverne s’était rendue à une autre Réunion d’Été l’année précédente et il n’avait pas croisé Ayla et son loup à leur arrivée. Il avait d’abord été surpris de voir une bête carnivore approcher calmement avec les membres de la Neuvième Caverne, puis il avait été étonné par la taille de l’animal. Dressé sur ses pattes de derrière, il était presque aussi grand que cette femme.

Il avait entendu dire que le nouvel acolyte de la Première savait s’y prendre avec les animaux et qu’un loup la suivait partout, mais il savait que les gens exagéraient parfois et s’il ne niait pas ce que tout le monde disait, il n’était pas sûr non plus d’y croire tout à fait. On avait peut-être simplement aperçu un loup à proximité de la Réunion et, pour une raison ou une autre, on avait cru qu’il la suivait, avait-il pensé. Mais il devait maintenant reconnaître que ce n’était pas une bête rôdant autour d’un groupe. Il y avait de la communication, de la confiance, entre ce loup et cette femme. Jamais le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne n’avait vu une chose pareille et cela avait stimulé son intérêt pour Ayla. Jeune mère ou pas, elle avait sa place dans la Zelandonia.

 

 

La matinée était avancée lorsque le petit groupe s’approcha de la grotte apparemment quelconque s’enfonçant dans une paroi calcaire basse. Ils étaient quatre : le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne, son acolyte, un jeune homme taciturne nommé Falithan, Jonokol, l’artiste talentueux qui avait été l’acolyte de la Première un an plus tôt, et Ayla.

Pendant le trajet, elle avait pris plaisir à bavarder avec Jonokol et avait constaté qu’il avait beaucoup changé. Lorsqu’elle avait fait sa connaissance, il était plus artiste qu’acolyte et était entré dans la Zelandonia parce que cela lui permettait d’exercer librement son talent. Il ne tenait pas absolument à devenir Zelandoni, il était satisfait de son rang d’acolyte. Cela avait changé. Elle le trouvait maintenant plus sérieux. Il voulait peindre dans la Grotte Blanche qu’elle – ou plutôt que Loup – avait découverte l’été précédent, mais pas uniquement pour le plaisir d’exercer son art. Il savait que c’était un lieu saint, un refuge sacré créé par la Mère et dont les parois de calcite blanche constituaient une extraordinaire invitation à en faire un endroit où communier avec le Monde des Esprits. Il voulait connaître cette grotte en tant que doniate afin de rendre justice à son caractère sacré en peignant des images du Monde d’Après qui lui parleraient. Jonokol abandonnerait bientôt son nom pour devenir Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne.

L’entrée de la grotte était à peine assez large pour laisser passer une seule personne et Ayla eut l’impression qu’elle se rétrécissait encore à mesure qu’on avançait. Pourquoi vouloir pénétrer dans une grotte aussi exiguë ? pensa-t-elle. Elle entendit alors un bruit qui fit se hérisser les poils de sa nuque et lui donna la chair de poule. C’était une sorte de ululement haut perché, une plainte qui parut emplir toute la grotte. En se retournant, elle vit que c’était Falithan qui l’émettait. Un étrange écho assourdi semblant né des profondeurs de la roche leur parvint. Le Zelandoni de la Vingt-Sixième souriait.

— Un son remarquable, non ? dit-il.

— En effet, répondit Ayla. Mais pourquoi ton acolyte fait-il cela ?

— C’est une façon d’évaluer la grotte. Lorsque quelqu’un chante ou joue de la flûte ou émet un son comme Falithan dans une grotte, si elle répond par un son distinct et net, cela signifie que la Mère nous entend, qu’elle nous dit qu’on peut pénétrer dans le Monde des Esprits par cet endroit. Nous savons alors qu’il est sacré.

— Est-ce que toutes les grottes sacrées répondent ?

— Pas toutes mais la plupart, et parfois seulement dans certains endroits, mais les lieux sacrés ont tous quelque chose de spécial.

— Je suis sûre que la Première aimerait évaluer une telle grotte, elle a une voix belle et pure, dit Ayla.

Aussitôt, elle fronça les sourcils et poursuivit :

— Mais comment faire quand on ne sait pas chanter ni jouer de la flûte, ni émettre un son comme Falithan ? Je ne sais rien faire de tout cela.

— Tu sais sûrement chanter un peu…

— Non, intervint Jonokol. Elle ne sait que prononcer d’une voix monocorde les mots du Chant de la Mère.

— Il faut pouvoir évaluer un lieu sacré par le son, souligna le doniate de la Vingt-Sixième Caverne. C’est une partie importante de la fonction de Zelandoni. Et il faut que ce soit un son particulier, pas simplement un cri.

L’homme semblait préoccupé et Ayla abattue.

— Et si je n’y arrive pas ? demanda-t-elle, prenant conscience en cet instant qu’elle voulait vraiment devenir un jour Zelandoni.

Jonokol paraissait aussi dépité qu’elle. Il aimait beaucoup cette étrangère que Jondalar avait ramenée de son Voyage et estimait avoir une dette envers elle. Non seulement elle avait découvert cette nouvelle grotte mais elle avait fait en sorte qu’il soit parmi les premiers à la voir, et elle avait accepté de devenir acolyte de la Première pour lui permettre de rejoindre la Dix-Neuvième Caverne, qui en était proche.

— Mais tu sais faire d’autres sons, Ayla, dit-il soudain. Tu sais siffler comme un oiseau, je t’ai entendue. Et tu sais imiter beaucoup d’animaux. Tu hennis comme un cheval, tu rugis même comme un lion !

— J’aimerais entendre ça, dit le doniate.

— Montre-lui, Ayla.

Elle ferma les yeux et se concentra, ramena ses pensées au temps où elle vivait dans sa vallée, élevant un lionceau et une jeune pouliche comme s’ils étaient ses enfants. Elle se rappela la première fois que Bébé avait rugi à pleine gorge. Elle avait décidé de s’exercer elle aussi à rugir et, quelques jours plus tard, elle lui avait répondu par un rugissement. Il n’était pas aussi puissant que celui de Bébé mais il avait paru l’approuver. Comme l’aurait fait son lion, Ayla commença par une série de grognements, unkh, unkh, unkh, chaque fois plus forts, puis elle ouvrit grand la bouche et lâcha le plus tonitruant des rugissements qu’elle put. Après un silence, la grotte le renvoya, comme si un lion avait répondu, loin au cœur de la roche et même au-delà.

— Tu peux aussi hennir comme un cheval ? lui demanda le jeune acolyte de la Vingt-Sixième lorsque l’écho mourut.

C’était un son facile. C’était celui qui l’avait inspirée quand elle avait donné à sa jument le nom de Whinney, lorsqu’elle n’était encore qu’une pouliche. Ayla émit le son par lequel elle saluait sa jument quand elle ne l’avait pas vue depuis un moment : un joyeux Whiiinneeey.

Cette fois, le doniate de la Vingt-Sixième Caverne éclata de rire.

— J’imagine que tu peux aussi imiter un oiseau.

Ravie, Ayla sourit, siffla comme elle avait appris à le faire lorsqu’elle vivait seule dans sa vallée pour attirer les oiseaux, qui venaient manger dans sa main. Les trilles et les gazouillis furent là encore renvoyés par la grotte en un étrange écho assourdi.

— Si j’avais encore eu des doutes sur le caractère sacré de ce lieu, tu les aurais dissipés. Tu n’auras pas de problème pour évaluer une grotte, Ayla, même si tu ne sais ni chanter ni jouer de la flûte. Comme Falithan, tu as ta façon de le faire, dit le Zelandoni.

Il fit signe à son acolyte, qui tira de son sac quatre petites coupes munies de poignées qu’on avait taillées dans un bloc de calcaire.

L’acolyte prit ensuite ce qui ressemblait à une espèce de saucisse blanche : un morceau d’intestin d’animal bourré de graisse. Il en dénoua une extrémité et fit tomber dans la coupe de chaque lampe de la graisse figée, y planta une mince lanière de bolet séché. Puis il s’assit et entreprit de faire du feu. Ayla l’observa et faillit lui proposer l’une de ses pierres à feu mais la Première avait insisté, l’année précédente, pour faire la démonstration de leur usage dans le cadre d’une cérémonie, et même si un grand nombre de Zelandonii savaient maintenant s’en servir, Ayla ignorait comment sa doniate voulait cette fois les montrer à ceux qui ne les avaient pas encore vues.

Avec les matériaux qu’il avait apportés, Falithan ne tarda pas à allumer un petit feu et, à l’aide d’une autre bande de champignon séché qu’il enflamma, il fit fondre un peu de la graisse pour qu’elle soit plus facilement absorbée puis alluma les mèches de bolet.

Lorsqu’une flamme se fut élevée de chaque lampe, le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne suggéra :

— Allons visiter cette petite grotte. Ayla, tu vas devoir maintenant imiter le serpent. Tu crois que tu peux te glisser à l’intérieur ?

Elle acquiesça de la tête, malgré quelques doutes.

La poignée de sa lampe à la main, le Zelandoni passa d’abord la tête dans l’ouverture, se mit à genoux, appuyé sur une main, s’allongea finalement sur le ventre. Poussant la lampe devant lui, il se tortilla pour pénétrer dans l’espace exigu. Ayla suivit, puis Jonokol et enfin Falithan, chacun avec sa lampe. Ayla comprenait maintenant pourquoi le Zelandoni avait découragé la Première de tenter cette visite. Même si Ayla avait plusieurs fois été étonnée par tout ce dont cette femme corpulente était capable quand elle le désirait vraiment, cette grotte était vraiment trop étroite pour elle.

Les parois, plus ou moins perpendiculaires avec le sol, s’incurvaient vers le plafond et semblaient faites de roche recouverte de terre humide. Le sol, mou et argileux, collant, les aida en fait à passer dans certains des endroits les plus exigus mais il ne fallut pas longtemps pour que cette boue froide imprègne leurs vêtements. Consciente que ses seins étaient gorgés de lait, Ayla s’efforçait de s’appuyer sur les mains pour ne pas faire porter tout son poids sur eux, mais ce n’était pas facile avec la lampe à la main. Lorsqu’elle se retrouva bloquée dans un coude, elle éprouva un début de panique.

— Reste calme, Ayla, tu peux y arriver, l’encouragea Jonokol.

Elle sentit qu’il lui poussait les pieds par-derrière et, avec son aide, elle passa.

La grotte n’était pas uniformément étroite. Après le coude, elle s’évasa. Ils purent s’asseoir, tenir leur lampe en hauteur et se voir. Ils s’accordèrent une halte et Jonokol ne put y tenir : avec un éclat de silex pris dans une poche accrochée à sa ceinture, il grava un cheval en quelques coups rapides sur l’une des parois, puis un autre en face.

Ayla était toujours sidérée par son habileté. Lorsqu’il vivait encore à la Neuvième Caverne, elle l’avait souvent regardé s’exercer sur une paroi calcaire, sur une plaque de roche détachée, ou sur une peau brute, avec un morceau de charbon de bois. Il le faisait si souvent et avec tant de facilité qu’il semblait presque gaspiller son talent. Mais de même qu’elle avait dû s’exercer pour devenir habile avec sa fronde ou avec le lance-sagaie de Jondalar, Jonokol, elle le savait, avait eu besoin de pratique pour atteindre son niveau d’excellence. Pour Ayla, la capacité de se représenter une créature vivante et de reproduire son image sur une surface lisse était tellement extraordinaire qu’elle ne pouvait être qu’un don étonnant de la Mère. Elle n’était pas la seule à le penser.

Après qu’ils se furent reposés un moment, le Zelandoni de la Vingt-Sixième Caverne repartit, toujours en tête. Ils durent franchir d’autres passages difficiles avant d’atteindre un point où de gros rochers barraient leur chemin : c’était le fond de la grotte, ils ne pouvaient pas aller plus loin.

— J’ai vu que tu n’as pas pu t’empêcher de dessiner sur les parois de cette grotte, fit observer le Zelandoni en souriant à Jonokol.

L’artiste n’aurait pas tout à fait exprimé en ces mots ce qu’il avait fait mais il acquiesça.

— Je pense que Vue du Soleil devrait célébrer une cérémonie pour cet endroit, reprit le doniate. Je suis plus persuadé que jamais de son caractère sacré et je voudrais le faire reconnaître. Ce pourrait être un lieu où les jeunes, voire les tout jeunes, viendraient mettre leur courage à l’épreuve.

— Tu as raison, approuva l’artiste acolyte. C’est une grotte difficile mais droite. On ne risque pas de s’y perdre.

— Participeras-tu à la cérémonie, Jonokol ?

Ayla devina que le Zelandoni souhaitait que le peintre fasse d’autres dessins dans cette grotte sacrée si proche de sa Caverne et se demanda si cela rehausserait encore son statut.

— Je pense qu’il faudrait y marquer une limite, pour montrer qu’on ne peut pas aller plus loin… dans ce monde, répondit Jonokol. Le lion d’Ayla a rugi du Monde d’Après. Fais-moi savoir quand tu tiendras cette cérémonie.

Le Zelandoni et son acolyte Falithan exprimèrent tous deux leur satisfaction par un sourire.

— Tu seras également la bienvenue, Ayla, déclara le doniate.

— Je dois d’abord savoir ce que la Première a prévu pour moi.

— Bien sûr.

Ils firent demi-tour et Ayla ne fut pas mécontente de rebrousser chemin. Ses vêtements étaient trempés, couverts de boue, et elle commençait à avoir froid. Le retour ne parut pas aussi long et elle ne resta pas de nouveau bloquée. Parvenue près de l’entrée, Ayla poussa un soupir de soulagement. Sa lampe s’était éteinte juste avant qu’ils aperçoivent la lumière du jour. Cette grotte était peut-être sacrée mais elle n’avait rien d’agréable, surtout parce qu’on devait y avancer en rampant la plupart du temps.

— Veux-tu venir à Vue du Soleil, Ayla ? proposa Falithan. Ce n’est pas loin.

— Je suis désolée. Une autre fois, ce sera avec plaisir, mais j’ai promis à Proleva de rentrer dans l’après-midi. C’est elle qui garde Jonayla.

Ayla n’ajouta pas que ses seins lui faisaient mal et qu’il fallait absolument qu’elle allaite.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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